En 1962, s’achevait la guerre d’Algérie. Mauvaise guerre, mauvaise paix, soixante ans remâchées, sources d’écrits pléthoriques, de valeur inégale. L’année 2022 devrait être l’occasion d’un regain de lectures et Conflits s’efforcera de rendre compte des productions de l’édition française au cours des prochains mois.
Ce qui s’annonce comme une longue commémoration commence par deux ouvrages publiés ce mois-ci par Nouveau Monde. Lancement mi-chèvre, mi-chou, pourrait-on dire : un livre évoque les commandos Delta de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) quand l’autre traite des officines recrutées pour annihiler l’OAS.
Du premier ouvrage, écrit sous un pseudonyme (Edmond Fraysse, Commando Delta. Confession d’un soldat de l’OAS, Paris, Nouveau Monde éditions, 2021, 240 p.), on apprendra peu de choses nouvelles et ce témoignage tardif d’un parachutiste du 18e RCP, déserteur après la dissolution de son régiment, devenu membre du commando Delta 3, ne révèle rien qui ne soit connu. Ayant conservé son anonymat en dépit de l’amnistie et du temps passé, l’auteur semble avoir voulu garder une part de son silence. Peu d’éléments permettent de comprendre sa personnalité. Des anachronismes (« lanceur d’alerte » pour qualifier des interventions de l’OAS) et des considérations générales embarrassent la lecture. Le chaos qui a caractérisé les derniers mois de la guerre est abordé à travers des poncifs du roman noir. Pour appréhender la fureur des derniers temps, on lira plutôt Guy Doly-Linaudière[1] et pour connaître les commandos Delta, on préfèrera l’étude de Vincent Guibert, le témoignage de Claude Tenne (avec les réserves qui s’imposent), ou les recherches de George Armstrong Kelly et d’Alexander Harrison qui ont précocement traité des « soldats perdus[2] ».
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Le second livre se fonde sur les souvenirs posthumes de Marcel Hongrois présentés par son fils (Christian Hongrois, Fils de Barbouze, Paris, Nouveau Monde éditions, 2021, 327 p.[3]). Le titre de l’ouvrage ne dissimule pas son propos : il s’agit d’un hommage filial et le lecteur ne doit s’attendre à nulle distance. La personne de Maurice Hongrois, qui s’est voulu homme de l’ombre, sort d’un passé confus que son dossier de « titres, homologation et services pour faits de résistance », cité dans les sources, ne parvient pas à éclairer. A-t-il été parachutiste SAS et formé en Grande-Bretagne ? Peut-être, mais il n’y a certainement pas croisé Massu et Bigeard. Il est plus certain qu’il était proche du parti communiste et qu’il l’est resté au long de ses aventures tout en se présentant comme un capitaine de réserve, agent de la SM (sécurité militaire) et du 2e bureau auxquels il fournissait des informations concernant d’éventuels suspects.
Devenu instituteur à Aïn Taya, à l’est de la baie d’Alger, il reprend du service en un moment où des nostalgiques d’une Résistance vengeresse, ne trouvant pas le gouvernement assez expéditif, décident d’intervenir à leur façon pour éliminer ceux qui feraient obstacle à l’indépendance algérienne, quitte à recourir à des méthodes dont l’ouvrage ne fait pas mystère. C’est un méli-mélo d’anciens FFI, de gaullistes sommaires, d’aventuriers et de truands que Lucien Bodard a baptisés barbouzes, qui s’enrôlent en 1961 dans les rangs du MPC (mouvement pour la coopération) dirigé, depuis Paris par Jacques Dauer, et par Lucien Bitterlin sur le terrain.
Les mémoires de Marcel Hongrois recoupant les ouvrages de Bitterlin[4], nous ne relèverons que les éléments qui les complètent lorsqu’il élargit la nébuleuse gravitant autour des gaullistes de gauche du MPC à des syndicalistes de FO et de la CGT, des francs-maçons et des militants du PSU. Il évoque aussi fréquemment des cellules de l’OCC (organisation civile du contingent) qui ont infiltré un régiment d’Aïn Taya, le 117e RI (qu’il serait difficile de présenter comme une unité de choc), dont les appelés membres et sympathisants étaient chargés de surveiller leurs officiers. Toutefois, en dépit de sa pugnacité et de sa proximité avec les responsables du MPC, Maurice Hongrois n’a pas été au centre de l’action et, concernant la lutte menée par les barbouzes et la Mission C de la police, le récent ouvrage du commissaire Le Doussal reste une indispensable référence.
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La partie la plus originale de l’ouvrage concerne le voyage que Jules Roy effectua, en compagnie de membres du MPC, en juin 1962, afin de préparer le référendum qui devait décider de l’indépendance à 99,72% des suffrages (p. 216). Les déconvenues de l’ancien colonel, écrivain à succès qui retrouve ses tombes familiales profanées, et celles de Bitterlin qui rêve d’une Algérie fraternelle liée à la France, mais qui ne parvient pas à se faire entendre des nouveaux maîtres d’Alger font l’objet d’un chapitre intéressant.
En dépit de ces informations qui méritent d’être connues, l’ouvrage de Christian Hongrois, comme celui d’Edmond Fraysse, comporte nombre d’invraisemblances, d’erreurs ou d’oublis[5], et la propension des deux mémorialistes à se présenter une arme à la main peut faire sourire le lecteur malicieux — brandir à tout propos un P.38 n’est pas indiqué lorsqu’on se veut agent secret, et choisir un révolver modèle 1892 pour se battre au sein des Deltas n’est peut-être pas opter pour le meilleur calibre[6].
Marie-Danielle Demélas – Docteur d’État en histoire, a été chercheur au CNRS et professeur à l’université Paris 3, consacrant alors ses recherches à l’histoire politique et militaire de l’Amérique latine et de l’Espagne. Elle est également l’auteur d’une histoire des parachutistes français (Parachutistes en Indochine, Paris, Vendémiaire, 2016, et Parachutistes en Algérie, 1954-1958, Paris, Vendémiaire, 2021. Parachutistes en Algérie, 1958-1962 en préparation).
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[1] G. Doly-Linaudière, L’imposture algérienne. Les lettres secrètes d’un sous-lieutenant de 1960 à 1962, préface de Raoul Girardet, Paris, Flipacchi, 1992, 295 p.
[2] V. Guibert, Les commandos Delta, Helette, éd. Curutchet, 2000, 302 p. ; C. Tenne, Mais le diable marche avec nous, Paris, La Table Ronde, 1968, 253 p. ; G. A. Kelly, Soldats perdus, Paris, Fayard, 1965, 484 p. ; A. Harrison, Le défi à de Gaulle. L’OAS et la contre-révolution en Algérie, 1954-1962, Paris, L’Harmattan, 2007, 310 p. (1re édition en langue anglaise en 1989).
[3] Ces mémoires ont été précédemment étudiées par Olivier Dard (« S’opposer à l’OAS en Algérie : l’exemple de Marcel Hongrois », in Luc Capdevila, Patrick Harismendy, L’engagement et l’émancipation, Presses universitaires de Rennes, 2015, pp. 85-93).
[4] Nous étions tous des terroristes. L’histoire des « barbouzes » contre l’OAS en Algérie (préface de L. Terrenoire, postface de G. Montaron, Paris, Témoignage chrétien, 1983, 277 p.), et Histoire des « Barbouzes »(éditions du Palais Royal, Paris, 1972, 234 p.).
[5] On notera que le nom de Maurice Hongrois ne figure pas dans les dictionnaires de Rachid Khettab (Frères et compagnons. Dictionnaire biographique d’Algériens d’origine européenne et juive et la guerre de libération (1954-1962), Alger, Dar Khettab, 2016, 413 p., et Les amis des frères. Dictionnaire biographique des soutiens internationaux à la lutte de libération nationale algérienne, Alger, Dar Khettab, 483 p.).
[6] Il s’agit de l’arme dont use Belmondo dans À bout de souffle et Maria Schneider contre Marlon Brando dans Le Dernier tango à Paris.